Prise de position

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SANTÉ AU TRAVAIL : TRANSFORMONS L’ESSAI !

Il y a quatre mois, le 9 décembre dernier, les partenaires sociaux concluaient une longue et pénible négociation sur la santé au travail par un nouvel accord national interprofessionnel « pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail ».

À l’instar de l’ANI sur le télétravail signé un mois plus tôt, cet accord s’inscrit dans une production dynamique et innovante du dialogue social permettant « d’occuper le terrain » face aux offensives normatives (cf. Billet de mars) : en l’espèce la nationalisation de la santé au travail dans un gros « France santé au travail » qui se serait ajouté à la collection des précédents (Pôle emploi, formation, chômage, retraite, etc.).

Nous marquions alors un nouveau et bel « essai » ! Mais, pour filer la métaphore, c’était sans compter sur la « VAR 1 » (Video Assistant Referees) ! Car ne nous y trompons pas ; le passage au Parl ment est l’occasion de « revoir l’action » et en quelque sorte d’arbitrer la partie.

Un tel chevauchement entre démocratie sociale et démocratie parlementaire questionne sur la place respective des acteurs en présence. Il invite à long terme à réfléchir à l’articulation de leurs rôles alors que notre pays s’enlise dans une profonde crise de confiance à l’égard de ses représentants.

À proprement parler on ne « transpose » pas un accord dans la loi mais la volonté affichée de le faire devrait conduire au cadrage de cet exercice très particulier comme cela existe déjà, au niveau réglementaire, par la procédure d’extension.

Mais à court terme, il nous faut faire « avec ». Il faut prendre acte que la proposition de loi déposée en décembre dernier par les députées Charlotte Lecocq (LREM-Nord) et Carole Grandjean (LREM-Meurthe-et-Moselle) et portée par l’ensemble des groupes de la majorité présidentielle affiche la volonté de « transposer » loyalement l’ANI. Or, cette « traduction » – terme dont l’étymologie signifie littéralement « mener à travers » – de l’ANI s’avère particulièrement complexe du fait de plusieurs éléments :

  • la publication de nombreux travaux parlementaires ces dernières années témoignant d’une volonté du législateur d’être force de propositions ambitieuses ;
  • l’acuité nouvelle de la santé au travail à l’aune de la crise sanitaire

Autre réalité, si tous les partenaires : État, parlementaires, syndicats, patronat affichent leur volonté de progresser « en prévention », force est de constater que c’est la « réparation » et les aspects financiers qui priment encore et toujours.

La raison :

L’État a dessaisi les partenaires sociaux de la conception des tableaux de maladies professionnelles de manière à les multiplier et il ponctionne sans vergogne la branche AT-MP qui n’est plus qu’une variable d’ajustement budgétaire de la Sécurité sociale. Seule cotisation variable d’une entreprise à l’autre, la cotisation AT-MP est idéale pour augmenter les charges sans que l’on s’en aperçoive de trop.

Dans ce contexte, notre action en amont du dépôt du texte et lors de son examen en première lecture à l’Assemblée nationale (en février dernier) s’est attachée à marteler à tous les niveaux d’arbitrage (rapporteurs, groupes politiques, administrations et gouvernement) l’indispensable respect de la volonté des partenaires sociaux et de l’esprit de l’accord.

Une vigilance particulière à cet impératif de la part de l’exécutif et du législateur a permis d’éviter l’adoption de nombreux amendements hors-sol ou revenant parfois sur les ordonnances de 2017 (rétablissement du CHCST pour ne citer que lui).

Adopté très largement par l’Assemblée (vote pour des groupes LREM, Modem, Agir, UDI, LR, Libertés et Territoires et vote contre des groupes France Insoumise, Communistes et Socialistes), ce texte respecte globalement l’ANI, voire comporte des avancées qui faudra veiller à sanctuariser au Sénat.

Il s’agit notamment de :

  • la création du statut d’infirmier en pratique avancée. C’est la seule voie d’avenir qui permet d’envisager le maintien du système de santé au travail français déstabilisé par la pénurie croissante de médecins du travail. Il faut encourager le développement de cette formation d’avenir et saluer l’initiative prise par le CHU de Toulouse de se lancer dans un programme de formation ;
  • la conservation du document unique dans l’entreprise, condition sine qua non de la préservation des informations qu’il contient. Est ainsi écarté le risque d’exploitation par des tiers, notamment à des fins d’intelligence économique ou de captation des secrets défense, dans un contexte où la souveraineté numérique n’est pas assurée ;
  • la distinction entre les services de santé au travail interentreprises (SSTI) et les services autonomes (SSTA) comme le prévoit l’ANI. Ces services n’ont besoin ni de certification ni « d’offre socle », car ils sont pilotés par l’entreprise elle-même et soumis à un contrôle social interne par les IRP.

En revanche, plusieurs mesures s’écartent de la volonté des partenaires sociaux, allant à rebours d’une mise en œuvre pragmatique et juridiquement robuste. Nous retenons :

  • Les dispositions à l’article 2 relatives au document unique sont excessives pour les PME et détournent en partie sa finalité pour en faire un document précontentieux. Concrètement nous souhaitons dissocier pour les TPE-PME l’intégration du programme d’action dans le DUERP inscrit dans la PPL. pour rappel, actuellement cette obligation ne concerne aujourd’hui que les entreprises dotées d’un CSE ; le gouvernement s’est déclaré favorable à une exemption pour les TPE-PME mais s’est fait battre par sa majorité.
  • De même nous voulons supprimer l’obligation de transmettre le document unique aux services interentreprises (article 2, alinéa 16) car c’est la fiche d’entreprise réalisé par les SSTI qui doit aider les PME à faire leur document unique et non l’inverse !
  • La création à l’article 7 de la PPL de délits de mise sur le marché des équipements de travail (les machines) et des équipements de protection individuelle (EPI) qui contredisent les principes généraux du droit pénal français et visent aveuglement les fabricants et les utilisateurs : des travaux sont engagés avec le gouvernement afin d’aboutir à une rédaction partagée permettant de mieux cibler les publics visés et d’introduire une proportionnalité des peines et sanctions en s’appuyant notamment sur le critère d’intentionnalité.
  • Enfin, il serait opportun de redonner la main aux partenaires sociaux sur la certification des services tout en respectant le rôle de l’État (article 8, alinéa 12). À cette fin, nous proposons de créer un comité de certification AFNOR tripartite pour les services interentreprises. Alors que le Sénat a nommé ses rapporteurs – Pascale Gruny et Stéphane Artano (mentionnés ci-dessous) – le texte sera examiné dans le courant du mois de juin. Il apparaît pertinent de sensibiliser, en amont, vos sénateurs à ces points critiques faisant obstacle aux objectifs partagés de prévention renouvelée et d’offre renforcée en matière de santé au travail.

La procédure accélérée étant engagée sur ce texte, la discussion au Sénat sera suivie par une commission mixte paritaire. Il apparaît à ce stade que les rapporteurs des deux chambres abordent cette étape future dans un état d’esprit constructif ce qui laisse présager un accord, fermant le cas échéant toute possibilité d’amendements ultérieure. D’où la nécessite d’une action corrective dès la lecture au Sénat pour que nous puissions enfin collectivement transformer l’essai !