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Quelles sorties de crise ?
Une crise qui vient de loin
Une crise traduit un dérèglement du système. Cela signifie que la crise que nous traversons n’est pas seulement sanitaire. Elle est aussi économique, sociale, citoyenne, sociétale, culturelle, écologique pour ne citer que quelques composantes.
Le concept-clé d’interaction, veut dire que tout est lié. On voit bien par exemple les incidences de la crise sanitaire sur l’économie, de l’économie sur le social…. L’originalité de cette crise et ce sera de plus en plus le cas, c’est son ampleur. En ce sens qu’elle frappe la totalité de notre planète, il s’agit donc aussi d’une crise macro-civilisationnelle. Il y a en quelque sorte une mondialisation de nos destins. Ne regarder que l’aspect sanitaire serait prendre le problème de façon fragmentaire. La découverte d’un vaccin aidera certainement à court terme à enrayer ou à diminuer fortement la propagation de l’épidémie mais ne règlera en rien les problématiques de fond.
Cette crise, y compris la crise sanitaire vient de loin, ses racines remontent à la première modernité, c’est-à-dire à la Renaissance. Pour faire simple et forcément schématique dans le cadre d’une brève, le mouvement de modernité amorcé à la Renaissance va entraîner plusieurs conséquences :
- Le développement de l’individualisme et de l’individualité qui est une recherche d’émancipation des contraintes collectives (religieuses, morales, politiques, économiques, sociales…) imposées par les sociétés d’ancien régime. Il faut distinguer “individualisme” qui porte une connotation d’intérêt personnel voire d’égoïsme, “d’individualité” qui est le droit d’être soi-même, d’être un être singulier, libre notamment de ses opinions, de ses croyances et de ses choix de vie.
- Le développement et la valorisation de la technique et de la science. En fait, ce développement est paradoxal. D’un côté, il se traduit par des progrès : allongement de la durée de vie, baisse de la mortalité infantile, diminution de la pénibilité physique, confort matériel…. D’un autre côté, il se traduit par l’endommagement de notre planète : exploitation des ressources naturelles, déforestation abusive, pollution de l’air, atteinte à la biodiversité, réchauffement climatique… Par exemple, d’un côté les progrès de la médecine permettent de guérir de nombreuses maladies en diminuant la mortalité et la souffrance. Dans le même temps la pollution favorise le développement de pathologies : allergies, asthme, maladies pulmonaires…
- Le développement du capitalisme avec ses dérives actuelles portées par le néolibéralisme qui hypertrophie les visions de court terme, de recherche du profit et met le primat de l’intérêt économique au-dessus de tous les autres. Le dogme néolibéral promeut la concurrence comme moyen de régulation naturel y compris comme solution aux problématiques sociales.
- La réussite matérielle érigée en marqueur de la réussite sociale.
Nous avons cru pouvoir domestiquer la nature mais nous avons oublié de la respecter. Nous avons vu nos forces mais nous avons oublié nos fragilités et nos limites. Cette crise doit nous ramener à plus d’humilité, à plus de respect que ce soit envers la nature ou les autres êtres humains. Nous avons besoin d’une nouvelle renaissance véritablement humaniste et écologique, moins individualiste et plus solidaire, moins en compétition et plus coopérationnelle. En ce sens cette crise peut aussi être une opportunité.
Quelles peuvent être les sorties de crise ?
Si on analyse les crises déjà traversées (1929, 2008 et bien d’autres), on peut schématiquement envisager trois types de scénarios de sortie de crise.
- Le retour ante, c’est comme l’on dit aujourd’hui le retour au monde d’avant. C’est ce à quoi travaillent les lobbies du néo-libéralisme. Si tel était le cas, nous amplifierions les risques courus, non par notre planète car elle a encore 4 ou 5 milliards d’années d’espérance de vie mais par l’humanité en terme de survie ou de modes de vie très dégradés. Ce retour ante, n’empêche pas la mise en œuvre de réformes, de restructurations mais il se traduit par le fait qu’on ne change pas fondamentalement de modèle de société, on reste finalement campé sur les mêmes paradigmes (principes de fonctionnement et de pensées structurant nos façons de penser, de produire et de vivre). Pour reprendre l’anthropologue Grégory Bateson, on est en présence de changements de type 1, qui au final conduisent à refaire la même chose. Comme il le dit : « On fait de plus en plus de la même chose qui ne marche pas ».
- La saisie d’opportunité ou grande restructuration en terme de vraie remise à plat de nos modes de fonctionnement avec le développement et l’innovation de modes de production et de modes de vie plus qualitatifs. Ça entraîne la remise en cause des paradigmes issus de la Renaissance. C’est ce que Grégory Bateson appelle un changement de type 2 où on change des fondamentaux du système. Cela suppose de considérer notre planète comme un bien commun à l’ensemble de l’humanité. On procéderait ainsi à une mondialisation positive de notre cadre de vie ; la notion de village planétaire prendrait tout son sens. Cela favoriserait des solidarités naturelles. Nous sommes tous (individus, entreprises, collectivités, états… bref toutes les composantes humaines et sociales du système) éco-responsables car nous sommes interdépendants de ce que font les uns et les autres ». C’est passer d’une vision quantitative « Toujours plus » à une vision qualitative « Toujours mieux ». Il ne s’agit pas de régresser dans nos modes de vie mais de produire et consommer plus local, responsable, frugal, renouvelable, réparable, recyclable.
- Une régression démocratique majeure en ouvrant la porte au populisme, aux communautarismes, aux nationalismes dans ce qu’ils ont de plus régressif, aux extrêmes de tous bords. Rappelons-nous que le nazisme est moins le produit du traité de Versailles que de la crise de 1929. Ces régressions démocratiques peuvent déboucher sur des formes politiques néo totalitaires. Le retour à une situation ante évoquée comme première possibilité peut favoriser dans un second temps l’émergence de cette troisième voie.
Nous vivons une période d’entre-deux
Le monde techno/économico/scientifique issu de la Renaissance est encore aujourd’hui dominant. On sent qu’il atteint non seulement ses limites. On peut dire que le modèle est au bout du rouleau mais que de puissantes forces économiques et politiques s’y accrochent fortement, elles font de la résistance. Le monde d’avant est donc encore bien présent. Parallèlement, s’est fortement développé la conscience écologique et la recherche de ce que nous appellerons une nouvelle renaissance éco-humaniste où les finalités sont le bien commun, le respect de la planète et des ressources avec une véritable individualité. L’enjeu est de concilier une communauté de vie et de destin orientée vers la recherche d’un bien commun, avec la possibilité d’être librement soi.
Il faut savoir que la gestation d’un nouveau paradigme est longue, chaotique, incertaine. L’implémentation d’un nouveau paradigme n’efface pas totalement ceux qui l’ont précédé, il y a cohabitation et primauté du nouveau paradigme. Nous sommes actuellement dans cette période de gestation, nous ne pouvons ni en définir la durée, ni en assurer l’issue.
Nous sommes dans ce qu’il est convenu d’appeler une période « d’entre deux », entre le monde d’avant encore dominant et un monde d’après toujours en gestation mais dont la forme reste indéterminée. Ces périodes sont les plus éprouvantes psychologiquement car elles ébranlent les certitudes d’hier, balaient les repères sans pouvoir encore baliser de façon précise un nouveau monde. Comme le notait Antonio Gramsci : « Un vieux monde en train de mourir tandis qu’un nouveau monde tarde à naître ».
Réussir la transition vers cette renaissance éco-humaniste est le défi que nous avons à relever. Une chance, un atout pour la réussir, c’est le niveau d’éducation, d’instruction, d’intelligence, de compétence, de potentiel innovateur, de capacité de réflexion, de niveau de conscience présent dans notre société. Ce sont là les ressources essentielles. Elles ne sont pas limitées, elles peuvent et doivent encore se développer. De plus, leur développement n’a aucun impact écologique négatif. Pour réussir cette transition, comme pour toute entreprise d’envergure, il ne faut pas nous focaliser sur ce qui empêche, contrarie mais sur les possibilités existantes.
Il nous faut tout à la fois être ambitieux, déterminé et réaliste. Une renaissance éco-humaniste si elle se réalise, sera nécessairement imparfaite comme toute entreprise humaine. Il ne s’agit pas de produire un monde parfait, c’est une utopie mais un monde meilleur.
Pour réussir cette transition, il faut le vouloir, il faut y croire, il faut agir pour. La gestation peut être longue, l’accouchement peut être douloureux mais si n’enfantons pas cet avenir, il ne se produira pas. Tout peut arriver, le meilleur comme le pire, faisons le choix actif du meilleur, car pour reprendre le mot de Camus : « Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été. »
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Mathieu PERAUD
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