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L’accord de commerce et de coopération entre l’UE et le Royaume-Uni analysé par l’UIMM

Just in time ! Le 24 décembre 2020, soit une semaine avant le terme de la période de transition, l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni sont enfin parvenus à un accord sur leur relation future.

Cet accord, dit « de commerce et de coopération », s’applique à titre provisoire à compter du 1er janvier 2021 (dans l’attente de sa ratification par le Parlement européen).  L’accord signé correspond, dans les grandes lignes, aux objectifs que s’était fixés l’Union européenne. Il reste toutefois sans commune mesure avec les avantages associés au statut d’État-membre de l’UE. Analyse des principales dispositions.

Une période de transition absente dans les faits

Le soulagement est grand d’avoir évité le scénario catastrophe que constituait un hard Brexit pour les entreprises situées de part et d’autre de la Manche. Il est néanmoins regrettable que la période de transition n’ait pas été utilisée conformément à son objet (à savoir, permettre aux différents acteurs impactés par le Brexit de disposer du temps nécessaire de préparation aux nouvelles règles applicables).

Ce d’autant que les négociations ont été, dans leur ensemble, assez opaques. Les entreprises n’ont pu débuter l’exercice d’analyse des 1 500 pages de réglementation que 7 jours avant l’entrée en vigueur de l’accord. Il nous parait souhaitable que les autorités publiques fassent preuve de souplesse à l’égard des entreprises dans l’exécution de leurs nouvelles obligations.

Marchandises : une absence de droits de douane sous conditions

L’accord instaure une zone de libre-échange, sans droits de douane ni contingents, sur l’ensemble des marchandises (sans cet accord, les voitures auraient été passibles de tarifs à hauteur de 10%, par exemple). Ce point revêtait une importance particulière dans la mesure où 13% de l’ensemble des échanges de marchandises de l’Union avec des pays tiers ont lieu avec le Royaume-Uni, et environ la moitié de l’ensemble des échanges de marchandises du Royaume-Uni se fait avec l’UE (données pour l’année 2019[1]).

Le bénéfice de l’absence de droits de douane et de contingents est toutefois subordonné au respect des règles relatives à l’origine des produits. Afin d’assurer qu’ils sont entièrement obtenus ou fabriqués dans la zone de libre-échange ou y font l’objet d’une ouvraison, d’une transformation suffisante. Cette exigence vise à éviter que le Royaume-Uni ne devienne une plateforme d’entrée de produits en provenance des pays tiers sur le marché unique (objectif qui ne peut être que favorablement accueilli) mais pourrait pénaliser certains secteurs.

Ainsi, Sigrid de Vries, secrétaire générale de CLEPA (organisation représentant les équipementiers automobiles européens) indique « chaque véhicule est composé en moyenne de 30 000 composants et chaque composant est souvent un assemblage d’éléments qui sont produits dans des pays différents. Introduire cette règle rend les démarches administratives particulièrement lourdes ». Elle ajoute que « cet accord pourrait représenter un surcoût de 2 à 6 % sur le produit final de notre secteur »[2].

Le passage aux frontières constitue une autre source de difficultés. En effet, toutes les importations doivent être conformes aux règles de la partie importatrice (toutes les importations sont désormais soumises à des vérifications réglementaires et à des contrôles à des fins de sûreté, à des fins sanitaires et à des fins relevant de la politique publique), ce qui donne lieu à l’établissement de nombreuses formalités. Des difficultés logistiques sont apparues aux frontières dès la deuxième semaine du mois de janvier 2021 (notamment sur les produits frais), révélant l’impréparation des opérateurs économiques (en particulier, du côté britannique). Ces difficultés restent toutefois, à ce stade, limitées eu égard notamment au stockage de produits effectué en fin d’année 2020.

Des dispositions laconiques pour les fournisseurs de service

Les fournisseurs britanniques ont perdu leur droit automatique à offrir des services dans toute l’UE. Pour pouvoir opérer, ils doivent désormais respecter les règles du pays d’accueil de chaque État membre (et, le cas échéant, s’établir dans l’UE pour poursuivre leurs activités).

L’accord prévoit néanmoins quelques dispositions protectrices.

  • les conditions des fournisseurs de services ou des investisseurs britanniques ne doivent pas être moins favorables que celles des opérateurs européens en Europe, et inversement.
  • la « nation la plus favorisée », au titre de laquelle l’UE et le Royaume-Uni peuvent revendiquer tout traitement qui aurait été accordé de manière plus favorable respectivement par le Royaume-Uni ou l’UE dans leurs futurs accords sur le commerce des services et l’investissement avec d’autres pays tiers – excepté dans le domaine des services financiers.

Des craintes sur l’effectivité de la concurrence équitable

L’accord comprend des dispositions en matière de concurrence équitable entre l’UE et le Royaume-Uni :

  • les normes applicables au 31 décembre 2020 dans les domaines du droit social et du travail, de l’environnement et du climat ne pourront pas être abaissées d’une manière qui affecte les échanges commerciaux ou les investissements entre les parties ;
  • des règles encadrent l’octroi des subventions, les pratiques anticoncurrentielles, les comportements discriminatoires et abusifs des entreprises publiques et la transparence fiscale.

Des mécanismes destinés à assurer l’application effective des règles mentionnées ci-dessus ont été mis en place et notamment :

    • le contrôle des subventions par les autorités et juridictions nationales ;
    • la possibilité de mesures correctives adoptées unilatéralement afin de réagir rapidement lorsqu’une subvention cause un effet négatif significatif sur le commerce ou les investissements entre l’UE et le Royaume-Uni.
    • des mécanismes de résolution des litiges survenant entre l’UE et le Royaume-Uni au sujet de l’application de l’accord, notamment au moyen du mécanisme horizontal de règlement des différends (tribunal arbitral) ou de groupes d’experts spéciaux ;
    • des mesures de rééquilibrage unilatérales en cas de divergences significatives dans les domaines des normes sociales et du travail, de l’environnement ou de la protection du climat, ou du contrôle des subventions, ayant une incidence importante sur le commerce ou les investissements entre les parties.

Ces mesures seront-elles réellement efficaces pour garantir une concurrence équitable ?

Des doutes à ce sujet ont été exprimés par divers membres du Parlement européen. Les entreprises sont donc invitées à la plus grande vigilance, notamment en signalant tout manquement dans l’application de l’accord qu’elles pourraient constater ou toute évolution législative qui pourrait les pénaliser au profit de leurs concurrentes britanniques. La Commission européenne a décidé de créer, pour contribuer à la mise en œuvre et à la surveillance de l’accord conclu avec le Royaume-Uni, un nouveau « service des accords UE-Royaume-Uni » (« UKS »), placé sous la responsabilité de Michel Barnier, et qui entrera en activité le 1er mars 2021. La mise en place d’un service d’alerte en ligne permettant aux parties prenantes de signaler des difficultés rencontrées en lien avec l’application de l’accord est également envisagée.

Un protocole dédié à la sécurité sociale

L’accord contient un protocole de coordination des systèmes de sécurité sociale britannique et européens plus développé que ce qui était attendu. Ses dispositions sont destinées à protéger les droits des citoyens de l’UE qui séjourneront à titre temporaire au Royaume-Uni, partiront s’y installer et/ou y travailleront après le 1er janvier 2021, et inversement. D’une durée de 15 ans, le protocole reprend une partie substantielle des dispositions contenues dans les règlements de coordination européens (n° 883/2004 et n° 987/2009). Il a toutefois un champ d’application plus réduit et ne couvre pas, à titre d’exemple, les prestations familiales, ni ne permet l’exportation des prestations chômage ou invalidité.

L’accord prévoit cependant, uniquement sur option des États-membres, la possibilité de maintenir le système du détachement de sécurité sociale (qui permet à une entreprise, lorsqu’elle envoie un salarié en mission temporaire à l’étranger, de continuer à verser les cotisations de sécurité sociale dans l’État de son établissement et d’être exonérée de cotisations dans le pays d’accueil – pour une durée maximale de 24 mois). Tous les États-membres de l’UE (y compris donc la France) auraient opté pour le maintien de ce dispositif (la décision officielle restant à paraître).

Immigration : des mobilités plus complexes

Le Brexit met fin à la libre circulation des personnes et marque donc le retour des visas, titres de séjour et autorisations de travail. L’accord rappelle toutefois que l’UE et le Royaume-Uni avaient déjà décidé de permettre aux ressortissants de l’autre partie de séjourner sur leur territoire, sans visa, pour une courte durée (chacune des parties ayant toutefois sa définition du voyage de courte durée). Il convient également de noter que l’accord contient des dispositions relatives à des exemptions d’autorisation de travail (notamment pour les « voyages d’affaires à court terme »). Selon les informations que nous avons pu obtenir auprès de la DIMM (Direction de l’Immigration), un décret, à paraître dans les prochaines semaines, intégrera ces exemptions d’autorisation de travail dans le Code du travail.

La fin de la reconnaissance simplifiée des qualifications professionnelles

Il n’y a plus de reconnaissance simplifiée voire automatique des qualifications professionnelles à compter du 1er janvier 2021. Les ressortissants du Royaume-Uni, quel que soit le lieu où ils ont acquis leurs qualifications, et les citoyens de l’UE titulaires de qualifications acquises au Royaume-Uni, doivent désormais les faire reconnaître dans l’État membre concerné sur la base des règles individuelles existantes applicables aux qualifications des ressortissants de pays tiers dès la fin de la période de transition. L’accord de commerce et de coopération prévoit néanmoins un mécanisme par lequel l’UE et le Royaume-Uni pourront ultérieurement convenir, au cas par cas et pour des professions spécifiques, de modalités supplémentaires pour la reconnaissance mutuelle de certaines qualifications professionnelles.

Goodbye Erasmus …

Le Brexit signe la fin de la participation du Royaume-Uni aux programmes européens, et notamment au Programme Erasmus + (des discussions ont toutefois été initiées pour fournir un nouveau cadre à la mobilité étudiante, lequel sera toutefois moins avantageux que le programme Erasmus). Le Royaume-Uni maintient néanmoins sa participation à quelques programmes européens : « Horizon Europe » (programme de recherche et d’innovation), Euratom (programme de recherche et de formation relatif notamment à la sécurité nucléaire, la gestion des déchets radioactifs et la protection contre les radiations), ITER (programme lié au réacteur thermonucléaire expérimental international) et Copernicus (système de surveillance de la Terre).

Outre les sujets mentionnés ci-dessus, l’accord traite de nombreux autres domaines tels que le commerce numérique, la propriété intellectuelle, les marchés publics, le transport aérien et le transport routier, l’énergie, la pêche, la coopération des services répressifs et judiciaires en matière pénale et la coopération thématique.

[1] Données de la commission européenne : Questions et réponses : accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni (europa.eu)

[2] Déclarations de Sigrid de Vries rapportées par le journal Agence Europe du 9 janvier 2021.