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Covid-19 et Responsabilité de l’employeur
La responsabilité pénale de l’employeur pourrait-elle être engagée ?
Dans le contexte actuel d’épidémie de coronavirus, un certain nombre de questions se pose concernant une éventuelle mise en cause de la responsabilité de l’employeur en matière de santé au travail dans le cas d’un risque de contamination par le covid-19 des salariés au cours de l’activité maintenue durant la période d’épidémie.
L’évolution de la contamination et les recommandations des autorités scientifiques pour répondre au phénomène, ont conduit les autorités publiques à prendre et préconiser des mesures pour préserver la santé de la population en général, et celle des personnes encore actives en particulier.
Le caractère particulièrement évolutif de la situation, lors de ces dernières semaines, a donc nécessité des adaptations importantes de la part des entreprises ayant maintenu une activité, en vue de préserver la santé de leurs salariés au regard d’un risque totalement inédit par son ampleur et par sa nature multifactorielle.
C’est pourquoi, la présente note propose des premières pistes de réflexion sur la responsabilité de l’employeur en matière de santé au travail au regard d’un risque de contamination par le virus covid-19. Elle nécessitera ultérieurement un approfondissement.
Cette responsabilité de l’employeur en matière de santé au travail peut être mise en cause tant sur le plan civil, notamment au regard de la faute inexcusable de l’employeur, que sur le plan pénal, selon des critères précis. Elle repose sur l’obligation de sécurité dont il est débiteur vis-à-vis du salarié, en application des dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121−2 du code du travail. C’est la contrepartie de son pouvoir de direction et d’organisation de l’entreprise.
Quelles sont les obligations de l’employeur dans le cadre de l’épidémie de covid-19 ?
Le questions/réponses du Ministère du travail dans sa version actualisée au 29 mars 2020 rappelle qu’il appartient à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé de ses salariés (art L. 4121-1 code du travail) et qu’il doit veiller à leur adaptation constante.
Il énonce à cet égard un certain nombre de recommandations à l’attention des entreprises qui maintiennent une activité afin de préserver leur salarié de toute contamination dans le cadre du travail.
Ainsi, le Ministère du travail instaure le télétravail comme étant la norme pour les postes qui le permettent. Toutefois lorsque le télétravail n’est pas possible, le questions/réponses ne préconise pas la cessation d’activité mais rappelle que l’employeur doit alors mettre en place les mesures nécessaires en vue de garantir la sécurité des salariés.
Il rappelle que l’employeur doit procéder à l’évaluation des risques et doit déterminer en fonction de cette évaluation les mesures de prévention les plus pertinentes.
Il préconise également :
- d’associer les représentants du personnel ;
- de solliciter lorsque cela est possible le service de médecine du travail en tant que conseiller des employeurs, des travailleurs et de leurs représentants ;
- de fournir toute information utile sur les mesures de protection efficaces, la mise en œuvre des « gestes barrières ».
Le ministère rappelle, enfin, l’obligation de l’employeur de veiller à faire respecter les gestes barrière recommandés par les autorités sanitaires.
Il est intéressant de noter que le Ministère rappelle que chaque salarié est acteur de sa propre sécurité (art L. 4122-1 du code du travail) et qu’il doit à ce titre respecter, notamment, les gestes barrières.
Est-ce qu’en cas de contamination d’un salarié par le covid-19 une faute inexcusable peut-être reconnue à l’encontre de l’employeur ?
Pour rappel, le régime de réparation AT/MP se différencie du droit commun en ce qu’il repose sur un mécanisme de preuve favorable aux victimes, ne nécessitant pas de démontrer une faute de l’employeur et assurant une indemnisation par la branche AT/MP, rapide, automatique, sécurisée quelles que soient la cause de l’accident ou de la maladie, et la part de responsabilité de la victime. En contrepartie, cette réparation a un caractère forfaitaire et toute action en responsabilité de droit commun contre l’employeur est irrecevable hors les dispositions dérogatoires limitativement énumérées par la loi (art L. 451-1 du code de la Sécurité sociale).
Parmi ces dérogations figure l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. La reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur ou de l’un de ses collaborateurs substitué à la direction, à l’origine d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, permet ainsi à la victime, ou à ses ayants droit, de prétendre, en application des dispositions de l’article L. 452-1 du code de la Sécurité sociale, à des réparations complémentaires (majoration d’indemnité en capital ou de rente et réparation des préjudices personnels).
- Le préalable à la faute inexcusable : la reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle
Une faute inexcusable ne peut être reconnue que si, au préalable, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie est reconnu (Cass. Civ.2, 4 avril 2019, pourvoi n° 17-16649).
S’agissant de la qualification d’accident du travail
Aux termes de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, bénéficie d’une réparation au titre des accidents du travail, la personne salariée, à quelque titre ou en quel que lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs, victime de tout accident, quelle qu’en soit la cause, survenu par le fait ou à l’occasion du travail. Il ressort de cette définition que l’accident se caractérise par 3 éléments essentiels :
- une lésion ou une manifestation pathologique se rattachant à un fait accidentel soudain ;
- au temps et au lieu du travail, c’est-à-dire un fait accidentel survenant alors que le salarié se trouve placé sous le contrôle et l’autorité de son employeur ;
- par le fait ou à l’occasion du travail : en l’occurrence, l’accident doit être rattachable à l’exécution du travail et ne doit pas être dû à une cause totalement étrangère au travail.
La Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur le fait accidentel ouvrant droit à la qualification d’accident du travail. Au terme d’une longue évolution, la Cour considère que le fait accidentel est « un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci » (Cass. Soc., 2 avril 2003, pourvoi n° 00-21768).
Il ressort de cette définition que les lésions présentées doivent pouvoir être rattachées à un événement sinon soudain, du moins ayant date certaine, survenu dans le cadre de l’activité professionnelle.
Pour pouvoir bénéficier d’une prise en charge au titre d’un accident du travail, il appartient au salarié d’établir la réalité de la survenance d’un accident au temps et au lieu du travail, par des éléments de fait objectifs, autres que ses seules déclarations. Dès lors que la preuve de la matérialité d’un accident est établie, le salarié va alors bénéficier de la présomption d’origine professionnelle le dispensant ainsi de faire la preuve de l’existence d’un lien direct entre l’accident et la lésion.
Au regard de la définition retenue par la Cour de cassation du fait accidentel, l’une des premières difficultés dans le cas de contamination alléguée par le virus covid-19 dans le cadre professionnel est précisément d’établir le fait accidentel à l’origine de cette contamination.
En effet, si la jurisprudence a pu retenir la qualification d’accident du travail dans le cas de contamination accidentelle, dans le cadre professionnel, c’est toujours au regard d’un fait accidentel clairement identifiable et démontré, notamment, des mesures de vaccination en rapport avec l’emploi (Cass. 2e civ., 5 novembre 2015, n° 14-10131), le contact avec une seringue souillée (Cass. 2e civ., 17 décembre 2009, n° 08-21598).
Dans le cas d’une contamination par un virus, l’acte de contamination constitue le fait accidentel. Or, en raison même, d’une part, du mode de contamination, par voie aérienne (projection de gouttelettes) ou par simple contact rapproché et prolongé avec une personne contaminée ou par le contact d’une surface souillée, en toute circonstance de lieu et de temps, et d’autre part, du délai d’incubation du covid-19 pouvant aller jusqu’à 14 jours, il sera certainement difficile d’établir une contamination soudaine survenue au temps et au lieu du travail et pouvant être à l’origine de l’affection.
En effet, s’agissant d’une affection virale touchant la population dans son ensemble et selon le même processus de contamination, elle peut, à ce titre, survenir au cours d’actes de la vie privée. Il sera donc difficile de la circonscrire aux seuls lieux d’activité professionnelle et d’établir qu’elle est en lien avec cette activité, sauf à pouvoir démontrer que cette activité et les conditions dans lesquelles elle est exercée exposent particulièrement au virus, ce qui pourrait être le cas, notamment, du personnel hospitalier, des laboratoires de recherche, des personnels affectés à des tâches susceptibles de les mettre de manière régulière en contact rapproché et prolongé avec des personnes porteuses du virus.
Cependant, la présomption d’imputabilité du fait accidentel au travail peut être écartée dès lors que l’employeur apporte la preuve du caractère non professionnel de l’accident notamment au regard des éléments de fait.
En tout état de cause, et parce que la qualification d’accident du travail relève de la seule compétence des caisses primaires d’assurance maladie, dans le cas où un salarié déclarerait auprès de l’entreprise une atteinte au covid-19, en raison de son activité professionnelle, cette dernière devra procéder à une déclaration d’accident du travail à laquelle elle pourra joindre des réserves sur le caractère professionnel de cette affection.
S’agissant de la qualification de maladie professionnelle
Il convient de distinguer :
Les maladies relevant des tableaux de maladies professionnelles
Aux termes des dispositions de l’article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale, sont présumées d’origine professionnelle :
- les affections désignées dans un tableau de maladies professionnelles ;
- et contractées dans les conditions mentionnées à ce tableau, chaque tableau précisant pour chacune des maladies le délai de prise en charge, éventuellement le délai d’exposition et la liste des agents ou des travaux susceptibles de provoquer l’affection.
En conséquence, pour pouvoir bénéficier d’une prise en charge au titre des maladies professionnelles, le salarié qui établit une déclaration de maladie professionnelle doit démontrer que :
- il est atteint d’une affection visée dans un des tableaux de maladies professionnelles ;
- il a été exposé au risque décrit au tableau, éventuellement pendant la durée minimale d’exposition visée au tableau ;
- la maladie a été constatée au moyen d’un certificat médical soit, pendant l’exposition soit, au plus tard dans la limite du délai de prise en charge prévu au tableau.
S’agissant du virus covid-19, celui-ci ne figure dans aucun tableau de maladies professionnelles.
Dès lors, à ce jour, cette affection ne peut pas faire l’objet d’une prise en charge au titre d’un tableau de maladies professionnelles.
Les maladies relevant du système complémentaire
Les alinéas 6 et 7 de l’article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale instaurent un système complémentaire de reconnaissance d’une affection, au titre des maladies professionnelles, qui ne repose plus sur un mécanisme de présomption, mais sur la preuve d’un lien direct entre l’affection et le travail habituel du salarié permettant la prise en charge et apprécié par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles qui rend un avis s’imposant ensuite à la caisse primaire d’assurance maladie.
Ce système permet la prise en charge, notamment, des maladies non désignées dans un tableau de maladies professionnelles, à condition qu’il s’agisse d’une affection grave susceptible d’entraîner le décès de l’intéressé ou une incapacité permanente au moins égale à 25 %.
La maladie suite à la contamination par le virus covid-19 s’inscrirait dans le système complémentaire au titre des maladies hors tableaux.
Toutefois il est difficile, à ce jour, d’apprécier si le covid-19 est susceptible de provoquer des séquelles pouvant entraîner un taux d’incapacité permanente équivalent a minima à 25 %. Selon les informations relatives à ce virus disponibles à ce jour, les personnes contaminées, et qui guérissent, ne semblent conserver aucune séquelle. En revanche, le virus peut être à l’origine du décès de certains malades. Dans ce cas, une demande pourrait être établie et une instruction, au titre des maladies hors tableaux, pourraient être engagée.
Cependant, s’agissant d’une maladie hors tableaux, il doit être établi par la victime ou ses ayants droit que le travail habituel de la victime est la cause directe et essentielle de la contamination par le virus covid-19.
Or, au regard du mode de contamination, soit par voie aérienne ou éventuellement par le toucher, et de la propagation du virus au sein de l’ensemble de la population, il nous paraît difficile d’établir un lien direct, et surtout essentiel, entre l’activité professionnelle et le covid-19 sauf dans des situations professionnelles mettant le salarié en contact proche et prolongé de manière régulière avec des personnes porteuses du virus, comme notamment le personnel hospitalier.
En tout état de cause, une déclaration de maladie professionnelle pourra être faite par la victime ou ses ayants droit. L’employeur en sera informé et pourra au cours de l’instruction émettre des réserves notamment sur le lien direct et essentiel entre la contamination et l’activité professionnelle.
- Le mécanisme de la reconnaissance de la faute inexcusable et la contamination par le covid-19
En application des dispositions de l’article L. 452-1 du code de la Sécurité sociale, la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ou ses ayants, peuvent faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur.
Aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, la faute inexcusable de l’employeur tenu d’une obligation de sécurité peut être mise en cause dès lors que le salarié apporte la preuve (Cass. Civ. 2, 19 décembre 2019, pourvoi n° 18-21982) que l’employeur, qui a manqué à cette obligation :
- avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait le salarié victime ;
- et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Dès lors, dans le cadre d’une contamination par le covid 19 dans le cadre professionnel, la faute inexcusable de l’employeur pourra être reconnue, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, dès lors que le salarié aura rapporté la preuve que l’employeur :
- d’une part, avait ou aurait dû avoir conscience du danger. Cet élément devrait s’apprécier uniquement au regard du poste de travail du salarié et de son environnement. A ce titre, le Ministère du travail dans son questions/réponses précise que la responsabilité de l’employeur s’appréciera au cas par cas au regard, notamment, de la nature des activités du salarié et de son niveau d’exposition aux risques, de ses compétences et de son expérience. Pour rappel, l’imprudence ou la négligence du salarié n’exonère pas l’employeur de sa responsabilité ;
- d’autre part, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. A cet égard il convient de relever que le questions/ réponses du Ministère du travail considère que les mesures nécessaires sont celles préconisées par le Gouvernement, en particulier les mesures prises pour faire appliquer les gestes barrières et faire respecter les règles de distanciation.
Est-ce qu’en cas de contamination d’un salarié par le covid-19 la responsabilité pénale de l’employeur peut être engagée ?
Pour rappel, le droit pénal est la partie du droit qui sanctionne la violation de la loi. L’objectif n’est pas d’indemniser une éventuelle victime, mais de punir. Le droit pénal obéit à des règles très précises. Il est d’interprétation stricte. Les textes d’incrimination doivent faire l’objet d’une disposition légale ou réglementaire. La procédure pénale protège le prévenu. Le juge pénal évalue les éléments constitutifs de l’infraction, mais tient compte aussi des circonstances objectives de temps et de lieu, de la personnalité et de l’intention du prévenu, des causes d’exonération, d’atténuation ou d’aggravation de la peine
En matière de santé au travail, plusieurs types d’infractions peuvent être sanctionnés.
- Le droit pénal du Code du travail
Le droit pénal du travail sanctionne le manquement à une disposition légale ou réglementaire de santé au travail (art L 4741-1 du code du travail). Cette disposition peut être une règle technique très précise, une procédure, un objectif formulé de manière plus ou moins général. Il s’agit d’une faute personnelle de l’employeur.
En matière de contamination par le covid 19, ce manquement pourrait être constitué dès lors que l’employeur n’a pas mis en place les mesures préconisées par le gouvernement telles que faire respecter les gestes barrières. Une sanction en application des dispositions pénales prévues par le code du travail pourrait alors être appliquée en dehors de toute contamination avérée au sein de l’entreprise.
- Le Code pénal
Le Code pénal sanctionne également les fautes commises par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement (infractions non intentionnelles art 121-3 du code pénal).
Le droit pénal sanctionne également le délit de mise en danger délibérée de la vie d’autrui (art 121-3 du code pénal) qui suppose d’apporter quatre éléments :
- l’existence d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ;
- la violation manifestement délibérée de cette obligation ;
- l’exposition directe d’autrui ;
- l’existence pour autrui d’un risque immédiat de mort ou de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.
S’agissant d’une contamination par le covid 19, il faut donc distinguer les infractions qui sanctionnent un manquement, indépendamment de l’atteinte à l’état de santé :
- La mise en danger d’autrui, qui pourrait être constituée dans le cas où l’employeur n’aurait pris aucune des mesures préconisées par le Gouvernement ;
- En cas de contamination d’un salarié, la responsabilité pénale de l’employeur pourrait être engagée à condition de démontrer qu’il n’a pas respecté les mesures préconisées par le Gouvernement ne permettant pas ainsi d’éviter la contamination.
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